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Actualité des valeurs du programme du Conseil National de la Résistance

Par Raoul Marc Jennar.

Aborder la question des valeurs, c’est, inévitablement, s’inscrire dans le débat d’idées et, s’agissant de la manière dont s’organise une société, on ne doit pas craindre d’affirmer qu’on se trouve en présence d’une véritable bataille des idées.

Certes, il peut se trouver que des valeurs soient communément partagées par des courants de pensée différents. Mais lorsque se pose la question de la cohérence entre ces valeurs et leur application, les différences surgissent au point de devenir antagonistes. Ainsi, lorsqu’il s’est agi de concrétiser le point du programme du CNR relatif à l’extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales, la coalition qui jusque-là avait conduit les réformes a éclaté entre partisans et adversaires de la guerre en Indochine. Le maintien d’un consensus sur les valeurs résiste mal aux choix nécessités par leur mise en œuvre.

S’il a été de bon ton, au cours de ces dernières décennies, de brocarder le débat idéologique au nom d’une prétendue destinée commune, on se rend bien compte qu’à l’image des passagers du Titanic, tous ceux qui sont sur le même bâteau ne sont pas traités de la même manière. Il faut accepter cette réalité si on veut apprécier à sa juste valeur le programme du Conseil National de la Résistance. Il s’agissait, alors, non pas de traiter tous les passagers de la même manière, mais carrément de changer de navire. Il y avait une volonté de changer la nature du système qui avait prévalu avant 1940. Au point d’en créer un autre.

Pour mesurer le chemin parcouru depuis lors, il s’impose de se remettre dans le contexte de la période qui a suivi la réalisation de certains éléments de ce programme. Parce qu’en face, on n’est pas resté les bras croisés.

Première partie : la contre-offensive néolibérale contre l’Etat-providence.

« Plutôt Hitler que le Front Populaire », tel fut, on peut le dire, l’objectif du patronat dans son écrasante majorité – il y eut quelques exceptions – après les réformes intervenues en 1936. On sait, grâce notamment aux travaux de l’historienne Annie Lacroix-Riz, que le patronat fit effectivement le choix de la défaite et inspira le régime de Vichy. Mais la collaboration se termine comme on le sait avec l’effondrement du IIIe Reich et l’opprobe frappe alors le patronat. On se souvient du propos de de Gaulle : « Messieurs, je n’ai vu aucun d’entre vous à Londres ! » Mais on se souvient aussi que l’épuration frappa davantage la collaboration intellectuelle que la collaboration économique.

Il est certain que le climat de la Libération, le discrédit qui frappe alors le patronat, la montée en puissance des partis de gauche et en, particulier, le poids du Parti communiste qui représente un quart de l’électorat, la pression des organisations syndicales rendirent sans nul doute plus aisée l’adoption d’un certain nombre des réformes prévues par le programme du CNR.

Pendant les années baptisées « les trente glorieuses » – qui ne furent pourtant pas glorieuses pour tout le monde – le patronat fut contraint de s’accommoder du rôle important pris par l’Etat à partir de 1944, c’est-à-dire d’une économie régulée par un certain degré de planification, par des mécanismes de redistribution et par l’existence d’un fort secteur public dans l’industrie comme dans les services. Il s’en accommodait d’autant mieux qu’il continuait d’être le principal bénéficiaire du pillage des colonies avant mais aussi après leur accession à l’indépendance.

Pendant ces années où s’épanouit dans plusieurs pays d’Europe occidentale l’Etat redistributeur et régulateur se mettent en place des groupes de réflexion qui ont tous en commun la volonté de mettre fin au pacte de solidarité qui est à la base d’un tel Etat. Pour y parvenir, ils engagent une formidable bataille idéologique destinée à démontrer la pertinence et la supériorité du modèle économique libéral et du primat du marché.

La Société du Mont-Pèlerin, le Groupe de Bilderberg, la Commission Trilatérale et les « nouveaux philosophes ».

En 1947, avec un financement du patronat suisse, se crée, près de Vevey, la Société du Mont-Pélerin. Son fondateur est l’économiste Friedrich Hayek. Y participe le partisan des thèses monétaristes Milton Friedman, le gourou de l’école de Chicago qui inspirera le consensus de Washington et les politiques de la Banque Mondiale et du FMI dont je vais parler dans un instant. La Société du Mont-Pèlerin va s’employer à combattre les thèses keynésiennes qui confient à l’Etat un rôle régulateur et redistributeur.

En 1954, à l’initiative de David Rockfeller, se crée le groupe de Bilderberg, du nom de l’hôtel où les fondateurs se sont réunis pour la première fois aux Pays-Bas. Parmi les « sponsors », Unilever, la multinationale néerlandaise. L’objectif avoué du fondateur se résume en une phrase prononcée en 1999 : « Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. »

Ce groupe se réunit chaque année et rassemble, à huis-clos, l’élite mondiale de la politique, de la finance, de l’économie, du militaire et des médias. Très souvent avant les réunions du G8. Il n’est pas inintéressant de savoir que c’est au sein de ce groupe que fut pensé le traité de Rome, fondateur de l’Union européenne. Comme il n’est pas inutile d’apprendre que c’est également en son sein que fut choisi l’actuel président de la Commission européenne : José Manuel Barroso.

En 1973, également à l’initiative de David Rockfeller, fut créée à Tokyo la Commission trilatérale dont l’objectif est de créer un partenariat entre les démocraties industrielles de l’Amérique du Nord, de l’Europe occidentale et de certains pays de la zone Asie-Pacifique. En fait, les participants proviennent pour l’essentiel des pays membres de l’OCDE qui acceptent tous le leadership américain. Cette Commission se présente comme « une organisation orientée vers la prise de décision » On ne s’étonnera pas d’y retrouver des personnalités dont la particularité majeure est d’exercer une influence : banquiers, hommes d’affaires, acteurs politiques, intellectuels et journalistes. Elle compte près de 400 membres.

C’est dans de tels centres d’études que va se préparer ce que Serge Halimi a appelé à juste titre « le grand bond en arrière ». Les intellectuels vont être mobilisés pour la bataille des idées planétaire qui s’engage avec les années Reagan-Thatcher. Chez nous, des gens qui se présentent comme des intellectuels entreprennent, avec un grand appui des médias, une critique systématique des penseurs et des pensées de gauche. De Bernard Henry Levy à Alain Minc, à travers des essais qui font immédiatement l’objet d’un grand battage médiatique, ils vont s’employer à démonétiser non seulement la pensée marxiste, mais également le modèle keynésien d’aménagement du capitalisme. Selon eux, toute exigence de justice sociale conduit au totalitarisme ; toute idée de gauche est dénoncée comme une anticipation du goulag ; tout message de solidarité est qualifié de ringard. Le rôle de l’Etat est discrédité. L’action syndicale est diabolisée. L’individualisme est magnifié. Toute forme de résistance est assimilée à un passéisme caractéristique du déclin dans lequel nous serions engagés. Dans la France giscardienne, la pensée libérale fait son entrée en force et prépare une nouvelle conjoncture idéologique qui, à partir de 1983, après le tournant de la rigueur, va trouver sa traduction dans des décisions politiques qui iront toutes dans le sens du démantèlement des réalisations inspirées par le programme du CNR.

Les instruments institutionnels du néolibéralisme.

Quatre institutions, qui ont en commun de détenir des pouvoirs supranationaux contraignants, vont mettre en œuvre les théories élaborées dans ces centres d’études du néolibéralisme et les recommandations qu’ils publient. Leurs décisions seront présentées par les médias et nouvelles élites intellectuelles comme allant de soi, comme des quasi fatalités. Le slogan « il n’y a pas d’alternative », devient la ratio legis, la raison d’être de toutes les décisions politiques et économiques. Alors qu’elle a été négociée et décidée par nos gouvernements, la mondialisation néolibérale est présentée comme un phénomène naturel incontournable.

FMI et OMC : les instruments de la destruction des politiques publiques.

Ces institutions, jouent un rôle majeur dans la démolition de la capacité d’intervention de l’Etat, en particulier dans le domaine des services. Elles mettent en application ce qu’on appelle « le consensus de Washington ». Il s’agit de principes au-travers desquels s’articule la vision d’une société dominée par une seule valeur, le profit. En voici les principaux:

  • La réorientation de la dépense publique : réserver les dépenses à la croissance et à la sécurité
  • La libéralisation financière : supprimer toute forme de taxation et de réglementation sur les échanges financiers
  • La libéralisation des échanges : supprimer tout ce qui fait obstacle à la concurrence
  • L’élimination des barrières à l’investissement direct étranger : permettre aux firmes transnationales de s’implanter partout où elle l’entendent sans être bloquées par des législations nationales
  • La privatisation des entreprises publiques
  • La réforme de la réglementation des marchés pour assurer l’élimination des principales barrières à l’entrée et à la sortie afin d’assurer une concurrence plus vive
  • La garantie des droits de propriété

Sans le moindre égard pour des droits fondamentaux comme l’accès aux soins, à la santé, au logement, à l’eau potable, les programmes d’ajustement structurel du FMI mettent en oeuvre ces principes. Avec le résultat que l’on sait dans les pays du sud : la santé et l’éducation sont réservés à celles et ceux qui peuvent payer; la notion de service public en particulier dans les transports, l’énergie, l’eau a disparu. Aujourd’hui encore, malgré le changement de direction, le FMI impose encore et toujours les mêmes conditionnalités pour venir en aide à un pays : réduction des budgets sociaux, éducatifs et culturels, privatisation des entreprises et des services publics, diminution de moyens humains et financiers de la puissance publique.

Quant à l’OMC, cette organisation créée en 1994, elle est chargée d’imposer la dérégulation dans tous les domaines, sauf dans celui de la propriété intellectuelle où au contraire il s’agit de renforcer ce droit de propriété sur les savoirs et les savoir faire. Elle dispose d’un pouvoir extraordinaire puisqu’elle est en capacité de sanctionner les Etats qui ne respectent pas ses règles. C’est aujourd’hui l’organisation internationale la plus puissante du monde.

Puis-je me permettre de signaler que FMI et OMC sont toutes deux dirigées aujourd’hui par des personnalités du parti socialiste français.

OCDE : le bureau d’études intergouvernemental du néolibéralisme.

En 1960, vingt pays industrialisés ont créé l’Organisation de Coopértation et de Développement Economiques. Depuis ils sont 34, dont Israël qui vient d’être admis il y a quelques mois, en dépit des violations du droit international par cet Etat. C’est le bureau d’études des gouvernements, mais c’est surtout le bureau d’études du capitalisme. Les statistiques et les rapports publiés par l’OCDE sont de véritables argumentaires en faveur du libre échange le plus débridé. On se souviendra que c’est un rapport de l’OCDE qui a recommandé de constitutionnaliser le libre-échange; un autre rapport a fourni des conseils sur la manière de s’opposer à ceux qui contestent la privatisation de l’enseignement. C’est l’OCDE qui fournit des recommandations et des propositions en ce qui concerne le démantèlement du droit du travail. Bref, c’est le bureau d’études qui fournit le mode d’emploi pour mettre en oeuvre dans chaque Etat les décisions du FMI et de l’OMC. C’est aussi l’institution qui fournit aux gouvernements les conseils sur la manière de faire accepter les choix néo-libérauxpar les populations.

L’Union européenne : la supranationalité au service du néolibéralisme.

Après la Libération, dans les pays de ce qu’on appelait alors l’Europe occidentale, le consensus majoritaire s’appuie sur les valeurs de solidarité. Impossible d’entamer au niveau national, une remise en cause du pacte de solidarité scellé dans plusieurs de ces pays à la Libération. Ce qui incite le patronat à entreprendre la plus formidable manœuvre de contournement des politiques sociales mises en place dans ces pays après la Libération. Je veux parler du Marché Commun, né avec le Traité de Rome en 1957. Pendant la négociation de ce traité, deux camps se sont affrontés : ceux qui voulaient que l’harmonisation sociale accompagne l’harmonisation économique et ceux qui s’y opposaient. Parmi ces derniers, le vice-président de la délégation française aux négociations, Robert Marjolin, proche du CNPF. Et c’est sa thèse qui l’emporte. On se contentera d’affirmer que le progrès social doit faire partie de l’objectif général et que c’est un marché fonctionnant harmonieusement qui favorisera l’harmonisation.

Cet abandon de l’harmonisation sociale comme une contrainte d’accompagnement de la création d’un marché commun, puis unique, va déterminer durablement la place médiocre faite à l’Europe sociale dans un processus d’intégration qui se traduit par une remise en cause de la conception keynésienne du rôle des pouvoirs publics. L’opposition de principe du patronat européen à toute harmonisation sociale sera toujours respectée.

Jamais, depuis 1957, on n’a remis en question le fait que le marché soit l’unique socle de la construction européenne. Le marché est le seul cadre organisationnel de l’Europe, à l’exclusion de tout autre.

L’analyse de la manière dont la belle idée d’union des peuples d’Europe a été détournée à des fins mercantiles a été faite à maintes reprises pendant la campagne référendaire de 2005. Je la résumerai par ce propos de Pierre Bourdieu : « La construction européenne est pour l’instant une destruction sociale. »

Deuxième partie : Les étapes du démantèlement.

A partir des années soixante-dix, on va assister à une lente démolition d’un modèle de démocratie économique et sociale né du programme du CNR.

Les premières brèches : la presse.

Pour les milieux de la finance et des affaires, la reeconquête va commencer par le secteur de la presse. Et on le comprend aisément puisqu’il s’agit de conditionner les esprits à douter de la pertinence des réformes de 1944-1947. Dès 1947, les nouvelles dispositions légales de l’ordonnance de 1944 contre les concentrations dans le secteur de la presse sont violées par Hachette qui prend 50% de France-Soir, d’Elle, de France-Dimanche. En 1950, Jean Prouvost, un industriel du textile qui avait bâti un empire de presse dans les années trente démentelé à la Libération, et qui vient de lancer Paris-Match, achète la moitié des actions du Figaro. Aucune réaction des pouvoirs publics. Il en va de même lorsque, dans les années soixante, des regroupements s’opèrent entre plusieurs titres régionaux.

Les années soixante-dix, les années Giscard, vont voir l’arrivée spectaculaire de Robert Hersant, condamné en 1947 à dix ans d’indignité nationale pour collaboration avec l’Allemagne nazie. Il a déjà acheté Nord-Matin en 1967 et Paris-Normandie en 1972. En 1975, il rachète Le Figaro. Bientôt son groupe s’étend à Centre-Presse, Le Berry Républicain, La Nouvelle République des Pyrénées. Viendront ensuite le Dauphiné Libéré et le Progrès. Ce mouvement sans précédent de concentration des entreprises de presse suscite le vote d’une loi présentée par Pierre Mauroy visant à limiter la concentration et à garantir la transparence des entreprises de presse. Mais cette loi du 23 octobre 1984 ne sera pas appliquée à la situation existante. Et lors de la première cohabitation, le gouvernement présidé par Jacques Chirac s’empressera d’assouplir les dispositions prévues par la loi de 1984.

Rien ne va enrayer le processus de concentration. Aujourd’hui, les trois grands groupes de presse appartiennent respectivement et dans l’ordre d’importance à Dassault, à Lagardère et au groupe Ouest-France. Des journaux comme Le Monde et Libération sont eux aussi entrés dans la logique capitaliste en étant racheté, le premier par le trio Pierre Bergé (confection de luxe)-Mathieu Pigasse (Banque Lazard)-Xavier Niel (télécom : fournisseur d’accès Internet Free), le second par Rotschild.

Ainsi, l’essentiel de la presse écrite française est passé sous le contrôle du patronat. Bien des journaux nés de la Résistance, comme Combat, ont disparu. Pour la bataille des idées entre défenseurs des acquis démocratiques et sociaux et défenseurs des intérêts du monde de la finance et des affaires, c’est loin d’être négligeable.

Paralyser l’Etat en l’obligeant à s’endetter.

C’est en 1973, sous la présidence de Pompidou, qu’un coup très dur va être porté à ce qu’on appelle l’Etat-providence. Le ministre de l’Economie et des Finances, Giscard d’Estaing, fait adopter une loi qui interdit à la Banque de France de faire crédit à l’État. Alors que le Trésor public empruntait à taux zéro à la Banque de France, il est désormais obligé d’emprunter aux banques privées et de payer des intérêts. C’est un formidable cadeau fait aux banques privées. L’accroissement sans fond de la dette publique trouve son origine dans cette loi.

La lutte contre l’endettement n’a plus cessé, depuis lors, de servir de justification à toutes les régressions sociales.

Depuis l’adoption du traité de Maastricht, cette disposition est devenue une règle européenne (article 104 devenu l’article 123 du traité de Lisbonne).

Le tournant de 1983.

En 1981, François Mitterrand est élu sur un programme qui s’inscrit dans le droit fil du programme du CNR. On peut même soutenir qu’il le poursuit et l’actualise, comme s’il était de question de reprendre le travail de mise en oeuvre là où il s’est arrêté en 1947. Des nationalisations, notamment dans le secteur bancaire, sont à l’ordre du jour.

Mais on peut aussi se poser la question de savoir si Mitterrand a été élu pour son programme

ou davantage parce qu’il y avait un intense besoin d’alternance après 23 ans de pouvoir de la droite.

Car, en 1983, tout bascule. La conjoncture idéologique a changé et les idées néo-libérales qui puisent des arguments à la fois dans la crise née des chocs pétroliers et également dans l’échec manifeste des économies dirigées des pays du bloc soviétique, s’imposent de plus en plus. Nous nous trouvons alors dans un contexte où, avec Reagan et Thatcher, les thèses néo-libérales sont mises en oeuvre aux Etats-Unis et en Grande Bretagne et magnifiées en France par les médias, par des intellectuels, par des artistes – souvenons-nous de cette émission intitulée « Vive la crise » avec Yves Montand – et par des politiques comme Delors, Rocard et ce qu’on a appelé la « deuxième gauche. » On s’autorise, ce qui paraissait impossible jusque-là, à remettre en question certaines réalisations nées du programme du CNR.

Confronté à l’incompatibilité de son programme économique et social avec les politiques européennes néo-libérales, Mitterrand fait le choix de cette Europe-là dont la dynamique va dans le sens opposé aux politiques qui confèrent un grand rôle à la puissance publique.

A partir de ce tournant dramatique, tout va se déliter peu à peu. La part des acquis socialisés par le programme du Conseil national de la Résistance va inexorablement baisser. L’Acte unique européen, puis le traité de Maastricht vont renforcer le poids des orientations néo-libérales qui sont imposées aux Etats membres de ce qu’on appelle alors la Communauté européenne.

Le ralliement du PS au primat du marché va se traduire par des politiques inchangées selon que le gouvernement est dirigé par la droite ou par cette gauche-là. Il en est ainsi des privatisations.

Les privatisations Chirac-Balladur-Juppé-Jospin.

Entre 1986 et 2002, quatre gouvernements ont procédé à des privatisations massives dans le domaine industriel, dans celui de l’énergie, dans celui des transports, dans celui des assurances et dans celui de la banque, privant ainsi la puissance publique d’importants moyens de régulation et de redistribution ainsi que de capacités d’intervention dans des secteurs vitaux.

Les gouvernements successivement présidés par Jacques Chirac, Edouard Balladur et Alain Juppé vont, dans l’ordre chronologique, procéder aux privatisations suivantes : Saint-Gobain, Paribas, TF1, le Crédit Commercial de France, la Compagne Générale d’Electricité, la Société générale, l’Agence Havas, la Mutuelle générale française, la Banque du bâtiment et des travaux publics, Matra, la Compagnie financière de Suez, Rhône Poulenc, Elf-Aquitaine, Renault, l’UAP, la SEITA, les AGF, la Compagnie Générale Maritime, Pechiney, Usinor Sacilor, la Compagnie française de navigation rhénane, la BFCE, Bull.

Le gouvernement présidé par Lionel Jospin a privatisé le Crédit Lyonnais, le CIC, la Société Marseillaise de Crédit, la Banque Hervet, le GAN et CNP assurances, Aérospatiale-Matra, Eramet, RMC, les Autoroutes du Sud de la France. Et il a procédé à l’ouverture du capital d’Air France, de France Télécom, de Thomson Multimedia, de EADS. On sait que ce même gouvernement, en apportant son appui aux décisions européennes prises en 2000 et 2002, a permis que se mette en place le cadre légal européen qui a rendu inévitable la privatisation d’EDF-GDF. De même, dans le domaine des transports, il a marqué son accord pour l’ouverture à la concurrence du transport ferrovaire.

Ces quatre gouvernements ont apporté un soutien sans réserve aux choix néo-libéraux adoptés au niveau européen. Ils ont participé aux négociations qui ont abouti à la création de l’OMC et soutenu les accords qu’elle gère.

La bataille des retraites.

La question des retraites est emblématique du recul des valeurs qui ont inspiré le programme du CNR. Deux thèses s’opposent : celle qui veut le maintien d’un système par répartition et celle des assureurs et du patronat qui, depuis 1945, veulent qu’on en revienne à la capitalisation. Pendant 35 ans, ces derniers n’ont pas osé afficher ouvertement leurs intentions. Mais les temps ont changé et les idées dominantes aussi.

Dès 1982, Denis Kessler, futur vice-président du MEDEF et Dominique Strauss-Kahn publient un livre intitulé « L’épargne et la retraite » qui formule des propositions sur les retraites préfinancées. Cet ouvrage est publié avec l’appui de l’Association internationale pour l’étude de l’économie de l’assurance.

A partir de 1983, des sociologues relayés par les lobbies patronaux veulent faire entrer le régime des retraites dans la logique libérale. Le discours sur le vieillissement de la France étouffe toute analyse nuancée.

Entre 1986 et 1989, une série de sondages – outils devenus essentiels dans la bataille des idées – expriment l’inquiétude grandissante des Français pour l’avenir de leur retraite. Certains de ces sondages sont financés par des sociétés d’assurance nouvellement privatisées comme les AGF.

En 1991, Rocard, Premier ministre, préface un « livre blanc » sur les retraites qui propose un passage de la durée de cotisation de 37,5 années à 42 ans. Il envisage un examen de la question de l’âge minimum de départ à la retraite.

En 1993, par un coup de force prenant la forme d’un décret publié en plein mois d’août, le gouvernement Balladur indexe le montant des retraites sur l’évolution des prix et non plus sur les salaires, augmente et aggrave la durée de cotisation. Cette réforme reprend certaines propositions du « livre blanc » de Rocard.

On connaît la suite : le plan Juppé en 1995, la contre-réforme Fillon en 2003, celle de 2007 et la contre-réforme de 2010.

Puisque nous parlons de valeurs et d’idées, puis-je signaler que chaque fois que ces modifications au pacte de solidarité de 1945 ont été avancées, elles ont reçu un soutien massif de l’écrasante majorité des médias et d’une part importante des milieux intellectuels. L’observatoire des médias Acrimed a fourni sur cette question du soutien systématique des médias aux propositions patronales et gouvernementales une analyse qui est d’autant plus impressionnante qu’on y trouve un questionnement des médias sur les Français eux-mêmes lorsque ceux-ci ne sont pas majoritairement d’accord avec les contre-réformes proposées.

Le projet global du MEDEF après l’élection de Sarkozy.

Le 4 octobre 2007, quelques mois après l’élection de l’actuel président de la Répulique, Denis Kessler, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef), déclare à l’hebdomadaire Challenge : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. (…) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme… A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

La bataille des idées se poursuit encore et toujours. Il faut convaincre qu’il n’y a pas d’alternative, qu’il faut s’adapter à la contre-réforme néolibérale planétaire comme s’il s’agissait d’une fatalité, d’un phénomène naturel incontournable alors que cette régression démocratique et sociale a été voulue, pensée, négociée et adoptée par nos gouvernements.

Il y a un mois, le 26 octobre, le MEDEF a mis en ligne un rapport de l’Institut Montaigne. C’est un laboratoire d’idées créé en 2000 par Claude Bébéar, ancien PDG d’Axa et financé par quatre-vingt grandes entreprises. Dans ce rapport, on peut lire: « Le pacte de solidarité de 1945 est dépassé. »

Troisième partie : Quelle actualité pour les valeurs qui ont inspiré le programme du CNR ?

On s’en rend compte, les valeurs portées par les élites intellectuelles, financières, économiques et politiques ont très peu de rapport avec celles qui ont inspiré le programme du Conseil National de la Résistance. Or, ce sont les valeurs dominantes d’aujourd’hui, en tout cas, celles qui sont distillées par les médias et ce qu’on appelle les leaders d’opinion, ces nouveaux directeurs de conscience qui nous martèlent le prêt à penser dans la presse écrite, sur les ondes et sur les écrans. Les propagateurs de cette nouvelle foi, qui nie la souveraineté populaire, n’hésitent pas, lorsqu’ils ne sont pas entendus, à blâmer les infidèles que nous sommes. Rappelons-nous les termes qu’ils ont tous employés pour discréditer ceux qui ne partagaient pas leur soutien au traité européen en 2005, allant même jusqu’à insulter un peuple qui ne les suivait pas, On pense à cette phrase de Bertolt Brecht après le soulèvement ouvrier à Berlin-Est en 1953 : « puisque le peuple n’a plus la confiance du gouvernement, est-ce qu’il ne serait pas plus simple que le gouvernement dissolve le peuple et en élise un autre ? »

A peu de choses près, dans le débat sur les retraites, on a de nouveau assisté à ce battage médiatique pour justifier, contre l’opinion publique, l’injustice d’une réforme combattue par une majorité de la population.

Mais il n’y a pas que le fossé entre les média et le peuple qui pose problème. C’est l’ensemble du paysage qui s’est modifié. Alors qu’il était possible, à la Libération, dans un seul pays, de construire une société solidaire, fondée sur les valeurs qui ont inspiré le programme du CNR, aujourd’hui, les règles européennes et internationales négociées et acceptées par nos gouvernements ne permettent plus de s’isoler de l’espace européen et international. Et il ne suffit pas de dire sortons de l’OMC ou sortons de l’Europe pour régler la question. La mondialisation des échanges, voulues par tous nos gouvernements depuis les années quatre-vingt, modifie complètement les termes du débat.

La donne a changé. Toutes les dispositions susceptibles de nous protéger ont été démantelées. D’ailleurs, le mot lui même est banni. Demander des protections, ce serait aller à l’encontre du sens de l’Histoire ! A l’OMC, on va même jusqu’à expliquer que c’est le protectionisme qui est à l’origine de la deuxième guerre mondiale. La règle, aujourd’hui, c’est la concurrence de tous contre tous. Concurrence en interne, concurrence internationale. Qu’on se souvienne du fameux débat sur la directive Bolkenstein organisant la concurrence entre toutes les activités de service dans l’espace européen. Qu’on se souvienne des accords de l’OMC qui imposent à chaque Etat le démantèlement des obstacles à la libre circulation des biens et des capitaux, de tous les obstacles, y compris les protections sociales, sanitaires et écologiques. Tel est l’ordre mondial nouveau que nos gouvernements ont bâti en moins de trente ans.

Les valeurs qui ont inspiré le programme du CNR peuvent-elles encore être appliquées dans cet ordre nouveau mondialisé ?

Pas un seul instant, nous ne devons douter de la pertinence de ces valeurs. Parce que ce sont des valeurs universelles. Parce qu’elles sont nées de la prise de conscience progressive, à travers les siècles et en particulier au siècle des Lumières, que l’être humain n’est rien sans la collectivité dans laquelle il s’incère, que l’être humain est d’abord un citoyen. Parce que ces valeurs se résument dans ces trois mots qui davantage qu’une devise claquent comme un mot d’ordre encore et toujours à réaliser : liberté-égalité-fraternité.

Le souci respectable de rassembler ne peut nous faire oublier que ces valeurs n’ont pas été et ne sont pas portées de la même manière par les différents secteurs qui composent nos sociétés.

Pour certains, les moins nombreux mais les plus puissants, il ne s’agit là que de mots parmi d’autres, figés dans la pierre, qui n’engagent à rien et qui ne conditionnent pas leurs comportements. Pour d’autres, les plus nombreux mais les plus faibles, il s’agit de mots porteurs d’espérance. Ils disent un monde qui reste à construire.

Tout dépend donc de la volonté. Volonté de privilégier quelques-uns ou volonté d’établir d’autres rapports humains et sociaux. Force est de constater que l’histoire de l’humanité, c’est une séculaire opposition entre des volontés qui s’affrontent. Un affrontement idéologique d’abord. Surtout dans les sociétés où l’opinion publique a son mot à dire. Un affrontement politique, économique et social ensuite, en fonction du mouvement des idées et des rapports de force qui émergent.

Nul ne peut nier que depuis trente ans les valeurs qui ont inspiré le programme du CNR ont reculé. Nous avons perdu la bataille des idées. Celles et ceux qui, aux responsabilités, avaient à défendre ces valeurs y ont renoncé.

Mais je suis de ceux qui pensent que perdre une bataille, si lourde soit l’ampleur de la défaite, ne peut justifier la résignation. Jaurès déjà nous le disait : « L’Histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l’indicible espoir. Des propos auxquels font écho à ceux de l’homme du 18 juin, « jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance. »

C’est ici que prend tout sens sens l’appel lancé le 8 mars 2004 par 13 grands Résistants. Dans l’âpreté des temps présents, ceux qui ne s’inclinèrent pas à un moment où tout semblait perdu, nous rappellent le legs précieux qu’ils nous ont confié. Eux aussi ont été guidés par l’espoir. Et ils se sont engagés. Ils ont pris parti. Le parti de défendre et de promouvoir, même au prix du sacrifice suprême, les valeurs qui les animaient face à ce qui tendait à les détruire. « Nous voulons retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase » écrivait Malraux.

Alors, sans le moindre doute, je réponds oui, les valeurs qui ont animé les auteurs du programme du CNR sont plus que jamais d’actualité. Je dirai même qu’elles sont plus que jamais nécessaires. En dépit, ou plutôt, à cause de l’ampleur du recul subi depuis une trentaine d’années.

Il n’y a pas de fatalité. L’humanité connaît des avancées et des reculs. Parfois, les avancées ne s’opèrent que sous la pression d’évènements extrêmes : famines, guerres, révolutions. Parfois, elles résultent d’une volonté soutenue de réformer, c’est-à-dire de réduire les injustices en modifiant le système.

Des résistances naissent et s’affirment dans de nombreux pays d’Europe où on fait payer la crise par ceux qui ne sont en rien responsables. En Amérique latine, après des siècles de colonisation et de soumission aux Etats-Unis, après des décennies de dictatures sanglantes, des mouvements démocratiques puissants inversent le cours des choses.

Aujourd’hui, alors que les valeurs qui ont animé les Résistants ne sont pas portées par les instruments qui façonnent les opinions, même si des alternatives émergent peu à peu – comme Médiapart – c’est dans le rassemblement des femmes et des hommes au sein d’une force commune porteuse de ces valeurs que l’espoir réside. Unis, comme le furent en 2005 les adversaires de gauche au TCE, tout devient possible. 80% des ouvriers, 71% des chômeurs, 67% des employés ont dit non à ce projet de société néo-libéral. Ce fut un vrai vote de classe. Ce fut la première lueur d’espérance. Elle vient de la base. Faisons en sorte qu’elle éclaire les élites.

Plus que jamais l’internationale des résistants à cet ordre nouveau imposé depuis un trentaine d’années s’impose. Plus que jamais, il faut refuser le repli sur soi qui fait le jeu des dominants, eux qui tirent leur force de notre faiblesse au niveau européen et international. La tâche qui incombe à celles et ceux qui veulent être fidèles aux idéaux des Résistants du CNR, c’est non seulement de résister, mais de fédérer un puissant mouvement porteur de ces idéaux en France, en Europe et dans le monde, afin que, de nouveau, les parents puissent laisser à leurs enfants un monde meilleur que celui qu’ils ont reçu eux mêmes de leurs parents.

Face aux valeurs qui écrasent les hommes et les femmes, qui exploitent les humains et la terre, ils nous faut porter plus fort que jamais les valeurs du programme du CNR.

les_actualites/actualite_des_valeurs_du_programme_du_conseil_nationalde_la_resistance.txt · Dernière modification : 30/06/2013 14:33 de 127.0.0.1